
Biographie. Née en 1958. Études de philosophie et de littérature anglaise puis Arts plastiques à l’Université Paris 8. Entre temps, modelage et moulage (atelier Valentine Schlegel, Arts Décoratifs). Puis la gravure. Graver, gratter- imprimer- façonner des caractères, traverser des épaisseurs, fabriquer des pages à tourner. Livre.
Certains de mes livres d’artiste sont entrés dans le fonds du Manoir des Livres, Maison d’écrivain Butor, Lucinges.
En quelques pas

Présentation. J’écris des textes courts, des fragments, je fais des textimages, tronçons de textes appliqués sur sténopé. Je fais de l’écrit. Avec le geste du dessin, retrouver celui de l’écriture, de l’enfant qui empoigne l’outil et le plaisir des sens à la rencontre du sens. Tirer sur le fil, creuser le mot, se rapprocher, faire remonter une cadence, des terres enfouies surgissent, par accident dirait-on, aller à l’accident. Une boucle, un nœud, une histoire protéiforme et singulière, une matière textuelle en mouvement, tactile, sonore, visuelle.
On voit les choses et on pense qu’elles sont saisissables parce qu’on les a vues.
Mais qu’est-ce qu’on a saisi ? Débris de langues, débris de corps tirés d’autres langues, fondus, abrégés, cadences, pulsations, matières textuelles, mots corporés, une manière de langue en train de glisser.

Écrire en marchant, un pas s’achève, un pas qui recommence, griffer griffonner retenir un effluve, croquer dans l’urgence, à la limite de l’équilibre, en terrain étranger et pourtant reconnu, en trajet souterrain, quand rien n’explique mais tout résonne, quand le trait tremble, quand la matière des mots se cogne à celle de l’objet et brutalement sentir le monde se frotter à soi. Attraper au vol cette sensation fugace et vertigineuse du réel. C’est le présent d’un mot et celui d’un tracé.
J’écris en anglais. Ce n’est pas ma langue maternelle. C’est ma langue de cœur, que je découvre et qui me découvre. Je fais passer mes mots en français. Il en demeure quelques filets qui se coulent dans le texte. Je ne cherche pas des équivalences, plutôt des correspondances, un jeu, cloche-pied, marelle, sauter par-dessus une flaque ou un trait de craie aussi consistant qu’un muret de pierre.
Explorer les territoires de langues qui me sont étrangères, images nourries de mots, de leur prononciation maladroite, fragile, de leur sonorité saugrenue, jubilatoire, un texte à l’intérieur du texte.
Et, au croisement des pratiques et des langues, l’improvisation libre, la langue qui claque, les textes-actions (corps-écriture-son), le plaisir du partage.


« Il y a dans un coin une fosse de ciment protégée par les ronces,
on y accède par six marches aussi friables que mes pieds sur une tache de craie.
Mercredi, Jeudi, Vendredi,
la joie des mots qui passent, des flottes entières, des hélices, des sirènes.
Cacophonie des corneilles, les petits dieux se réveillent.
Un pied dans la terre, un pied dans la rivière,
la mélodie du portail,
le parfum des terres fraîches et des chairs fleuries, charognes épicées, le fumet du torchis –
Tout va.
Tout y va.
Paille, coquille – Un œuf blanc comme le merci que j’ai envie de dire. »
Les Pieds dans la terre, Lizières, 2022


Avant la mer, festival Irtijal, Beyrouth, 2007
« Trois heures le matin, au pied des marches un tank, Rue des Frères, fatigues, le crâne du gros homme brille dans la cabine vitrée de la station-service, papier à cigarettes, tabac noir, la pension Al Nadir n’est plus très loin. La pension Al Nadir est en face de la mer, d’une maison repeinte, une moitié de maison, sa façade arrachée, le mur du fond à vif. Drapeau déchiqueté sur l’étendoir à linge, un drapeau propre et raide enfoncé dans le cèdre. Mort.
Couleur des murs : ocre rouge. »
Le texte, ici, fonctionne comme un livret sur lequel la performance repose. Ensuite, au fil des répétitions et des allers-retours, texte et performance s’enrichissent mutuellement et se transforment.
Ma pratique de la sculpture et du dessin m’a amenée à appréhender l’écriture sous l’angle du faire. Je fais de l’écrit. Une matière en mouvement, tactile, sonore, visuelle. L’écriture comme un terrain de barbotage.
Et, au croisement des pratiques et des langues, l’improvisation libre, les textes-actions (corps-écriture-son), le plaisir du partage. J’ai exploré les territoires de langues qui m’étaient étrangères, images nourries des mots, de leur prononciation maladroite, fragile, de leur sonorité saugrenue, jubilatoire, un texte à l’intérieur du texte. Le ressort, c’est le corps, la langue qui claque dans un élan de joie.


CD avec l’aide de l’Institut Français (DK)
« Que peuvent faire trois artistes, danois et français, qui ne parlent pas la langue de l´autre mais qui ont le désir de se découvrir ? Jouer. Parce que lire à haute voix dans une langue inconnue, c´est une musique : des sensations, des émotions. Som om det er noget Et Quelquechose est une tentative mais également une affirmation, un instant fugace et qui s’enracine, des mots portant des graines pour d´autres mots, d´une voix à un souffle. » in entretien à propos du CD
Ecrire et s’attacher, comment les hommes disent leur(s) vie(s), comment on essaie de voir ça, le monde, soi, avec comme seuls repères des mots, mâchés, mordus, soupirés, un lambeau de silence, hacher l’espace, bercer l’espace.
Facile.


« Bloc 401, Département des Améliorations Animales, les vautours surveillent les côtelettes, je me réveille à des années lumières, les bambous claquent gentiment dans le courant d’air au-dessus de la porte et les volets claquent les murs, la brebis bêle bravement et son bêlement se confond avec les paniques des jours précédents, les pets de la paille et des chairs verdies, les freins des camions.
Chocolate smiles would you know it sudden et ton visage est brusquement découvert.
Buissons parfumés, craie jaune et inclusions, tessons barbelés sur des croûtes d’odeurs, bac à sable pour de vieux enfants.
Les créatures émergent en file indienne à la nuit tombée et les oiseaux s’essuient le bec sur le dessus de ton pied cicatrices bleutées lentement tournées en ma terre.
Et une petite —
toute petite —
si loin si —
Brouillard. » in Brebis 401, Théâtre de l’Hospitalet du Larzac, 2007
(voir également Litterbox)
Et puis l’étymologie, que l’étranger et l’inconnu appellent en contrepoint, cheminer avec les racines, les mots ont leur histoire à eux, aller à leur rencontre.
Le travail de traduction est venu s’intégrer tout naturellement— se couler dans les mots d’un autre. Une fête.

« Il y a des monstres, chez Lovecraft – des ouvrages archaïques et décadents, des alchimistes et des sorciers, des géométries variables où le temps et l’espace s’enchevêtrent et se referment sur les protagonistes, confrontés à l’inexprimable, livrés à une solitude interdite qu’ils ne pourront partager avec personne.
[…] Mais le monstre véritable, c’est l’écriture. Les gerbes d’épithètes follement répétés. La multiplicité extravagante des détails qui saturent les phrases, colmatent les brèches et empêchent le silence de se déposer en soi. Comme si l’inexprimable pouvait être approché (et refoulé) par la description minutieuse de chaque brin d’herbe, de chaque geste ténu, comme si la précision chirurgicale constituait le rempart ultime contre la catastrophe. Comme si l’écriture avait pour objet de désigner le point de basculement dans l’horreur. » Les Meilleures Nouvelles de H. P. Lovecraft, 2020, éditions Rue Saint Ambroise, extrait de la préface

écrire et regarder à l’intérieur

Livres


Lavander Square, éditions Vincent Rougier, 2004
« porte vitrée au fond du couloir
le lit est à une place
une place une personne
lavande
échafaudage »


Litterbox #1 : TotalWasteManagement, livre-boîte, éditions Zédélé, 2004
« Je ne sais pas. Je pense à mon pays. Ma famille, ma vie, tout ce qui a changé.
Cette dame, elle me demande « Quand allez-vous balayer ça ? » Je lui réponds « Demain » et elle dit « Tant mieux parce que c’est sale ».
Courir après les feuilles. J’aime bien ce boulot. J’ai travaillé dans le bâtiment, vendu des sandwiches, le travail à ONYXX n’est pas dur. »


Être Là, textes, photographies de Anne Barthélémy, 2022, auto-édition
« Ils s’enfuient et je voudrais crier que ce sont les miens, Ce sont les miens, Ce sont mes pas, et puis ma voix s’engourdit dans leur pâte, je m’évapore, un petit, Tout petit, je dis, Chiffonnage… nage… je…//
Et puis ma voix s’engourdit. »


RzWalk, roman-photo, 2004, auto-édition, exposition à L’ailleurs Studio, Paris
« Quand on commence à se rendre compte qu’il n’y a pas d’innocence incarnée ; l’innocence est à peine plus qu’une envie ; une étoffe flottante, soufflée par les mots, un drapé, une tentative.
Poussière des rues, volante, qui s’est déposée sur le papier, le nom, qui est soufflée loin de l’objectif, qui ne peut approcher la poupée de porcelaine au bras cassé, poussière dans un sac de plastique rose. Camden Service Team. »
Jeunesse et ateliers

Chajar Series, histoire et dessins sous forme de feuilleton, créés en direct
sur plusieurs séances devant un public d’enfants, Port de Beyrouth, 2007





« Pas seulement les arbres, mais tout ce qui est autour, les escaliers, la citerne, les bancs, les grillages, les insectes, les fraises des bois sous les buissons, tout se suit, tout s’épelle, lettres-mots comme les miettes ou les cailloux, en marchant, en sautant, lire, dire, qui font bouger la langue et les jambes, grimpent partout comme les bêtes nichées dans les herbes et dans les écailles du mur, se cachent dans les chaussures, dans les oreilles… voilà le lien, au cas où tu te demanderais pourquoi je t’envoie des photos d’insectes taggés sur les murs. » in Présentation du projet Lieux-Dits, 2009

